Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy évoque la crise actuelle et trace les contours d'une réforme du capitalisme, estimant que celle-ci constitue la « politique de civilisation» évoquée l'an dernier par le chef de l'État.
LE FIGARO. La conjoncture ne cesse de se dégrader, la récession s'installe. Doit-on se préparer à une crise durable ?
Henri Guaino. Cette crise est la plus grave depuis celles des années 1930. Nul ne peut dire combien de temps elle durera. Qui sait exactement ce qu'il y a dans les bilans des banques du monde entier, ni jusqu'où peut aller l'engrenage de la récession ? Si l'on regarde l'histoire, les crises de ce type peuvent durer plusieurs années. Dans les années 1990, la crise japonaise a duré plus de dix ans. Mais les comparaisons sont difficiles parce que cette crise a quelque chose d'unique : c'est la première crise de la mondialisation.
Le plan de relance annoncé en décembre suffira-t-il ?
Il a été voté il y a quelques jours, laissons-lui le temps de produire ses effets ! S'il s'avère nécessaire de faire davantage, le gouvernement fera davantage. Tout ce qui pourra être fait pour combattre la récession et pour éviter qu'elle se transforme en dépression sera fait. Depuis le discours de Toulon, en septembre dernier, la stratégie n'a pas changé. Le président de la République a fixé une ligne. Cette ligne a été tenue et elle continuera de l'être. Dans cette crise terrible, il faut d'abord garder son cap et son sang-froid.
Le PS a proposé de coupler une relance par l'investissement et par la consommation. Il regrette l'absence d'aide directe pour les bas salaires…
L'effort doit porter sur les plus vulnérables. Beaucoup a été fait dans ce sens avec le RSA, la généralisation du contrat de transition professionnelle, l'assouplissement du chômage partiel, la revalorisation des minima sociaux… Tout sera fait dans les mois qui viennent pour éviter la propagation de l'exclusion. Mais la relance par la consommation serait une erreur économique. Le pouvoir d'achat distribué servirait surtout à acheter des produits importés. La question est de savoir si l'argent du contribuable doit servir à sauver nos emplois ou ceux des autres. Je crois que la stratégie de relance par l'investissement, qui entraîne à la fois l'offre et la demande, est la plus adaptée, la plus efficace et la seule qui ne sacrifie pas le long terme au court terme. Ce n'est pas une question de droite ou de gauche.
La récession est là et les prix baissent. Comment éviter la déflation ?
Historiquement, ce type de crise entraîne toujours dans un premier temps un ralentissement, voire la baisse de prix parce qu'il faut bien baisser les prix quand on n'arrive plus à vendre. Nous n'en sommes pas là, mais le risque existe. C'est en soutenant l'activité qu'on lutte contre le risque déflationniste. L'Histoire nous apprend que la plupart du temps c'est par l'inflation que l'on sort d'une crise d'endettement et de la déflation. Mais l'Histoire n'est pas écrite à l'avance et la mondialisation prépare peut-être une sortie de crise inédite.
L'État a choisi d'augmenter sa dette à des niveaux très élevés. Jusqu'où peut-il s'endetter ?
Il n'y a pas le choix. Dès lors que le système financier n'est plus en mesure de mobiliser l'épargne pour financer l'économie, il faut bien que les États et les banques centrales le fassent. Comme tous les gouvernements du monde, le gouvernement français emprunte pour financer l'économie. Un jour ou l'autre, il faut payer ses dettes mais ce n'est pas la même chose si en contrepartie de la dette on a des actifs parce que l'on a investi, ou si l'on n'a rien parce que l'on a consommé ce que l'on a emprunté. Emprunter pour prendre une participation dans une entreprise qui a un fort potentiel mais qui traverse un moment difficile, c'est parfaitement raisonnable, cela peut même être une bonne affaire, comme ce fut le cas pour le sauvetage d'Alstom. Emprunter pour placer en quasi-fonds propres dans les banques à 8 % pour qu'elles puissent continuer à prêter, comme c'est le cas aujourd'hui, cela rapporte de l'argent à l'État et ne dégrade pas sa solvabilité. Le problème, c'est que pour investir, il vaut mieux emprunter à long terme et que les épargnants ne veulent plus que des placements liquides. Il n'est donc pas exclu que de plus en plus d'États aient de plus en plus de mal à se financer à long terme à un coût raisonnable. Et ce d'autant plus que les excédents des pays prêteurs qui servaient à financer les déficits des pays emprunteurs sont appelés à fondre du fait de la réduction de leurs débouchés et de la nécessité de relancer leur croissance interne. Ce sera certainement le cas de la Chine dont on sait la part qu'elle a prise au financement des déficits américains. Cette réduction des capacités d'endettement au fur et à mesure que la crise accroît les besoins de financement pourrait être l'une des causes d'un retour futur de l'inflation à travers un recours de plus en plus massif à la création monétaire. À moins d'augmenter les impôts…
Lequel des deux dangers guette la France ? Y aura-t-il des hausses d'impôts en France avant 2012 ?
Augmenter les impôts en période de récession serait absurde. Une fois la crise passée, si l'État a bien investi, s'il a acquis des actifs qui ont une valeur, il n'y aura pas besoin d'augmenter les impôts.
L'État intervient pour sauver des secteurs entiers comme la banque et l'automobile. Pourquoi ne prenez-vous pas des participations ou ne procédez-vous pas à des nationalisations comme les Anglais, ou les Allemands qui ont pris 25 % de Commerzbank ?
Nationaliser toute l'économie n'est pas un objectif. Le gouvernement s'est fixé une ligne de conduite qui me paraît saine : si l'État intervient pour sauver une entreprise ou une banque en faillite, il en prendra le contrôle comme cela a été le cas pour Dexia. C'est ce qu'ont fait les Anglais et les Allemands.
Vous demandez aux banques de continuer à faire crédit aux entreprises. N'est-ce pas dangereux pour les banques, qui peuvent être amenées à prêter à des entreprises insolvables ?
Il ne s'agit pas de transformer les banques en guichets de prêts automatiques et de les fragiliser encore plus. Mais il s'agit de les mettre en face de leurs responsabilités pour éviter qu'un rationnement excessif du crédit ne vienne dégrader encore plus la situation de l'économie.
Bonus, dividendes, crédit, choix industriels… où s'arrête l'interventionnisme de l'État ?
On ne peut pas demander à l'État de sauver les banques et les entreprises et lui refuser le droit d'exiger des contreparties. La crise change les rapports entre la politique et l'économie. Partout dans le monde, même aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, les gouvernements vont devoir gérer des tensions politiques et sociales très fortes.
Envisagez-vous une loi sur la rémunération des dirigeants ?
Non. Mais on sent poindre partout une révolte des classes populaires et des classes moyennes contre des inégalités de rémunération qui ont atteint des niveaux jamais vus depuis le XIXe siècle. Alors, à chacun de prendre ses responsabilités. S'il le faut, le gouvernement prendra les siennes.
Le modèle du capitalisme anglo-saxon dominait le monde. Est-ce la fin de son hégémonie ?
Je préfère parler de capitalisme financier. Car c'est bien lui qui est en crise sur toute la planète avec son obsession de rendements exorbitants à court terme, sa dilution du risque et de la propriété, sa course effrénée au levier d'endettement, sa confiance aveugle dans les marchés qui ont toujours raison, l'argent qui va à l'argent, l'État minimum… En réalité, ce capitalisme financier est le contraire du vrai capitalisme.
Qu'attendez-vous comme résultats concrets du prochain G20 à Londres ?
La mise en œuvre des décisions prises au G20 de Washington pour moraliser la finance mondiale. Ce sera une étape importante dans la refondation du capitalisme. Tout ne se fera pas en un jour, mais je crois que les choses peuvent avancer assez vite dès lors que cette refondation est portée par un courant d'opinion planétaire. Regardez Obama : c'est d'une certaine manière un enfant de la crise. Il doit une partie de sa victoire à la révolte de l'Amérique profonde contre Wall Street, à une demande pressante pour en finir avec une époque. Il est la figure du changement voulu, espéré par des populations confrontées durement à l'épreuve de la crise.
Vous proposez des solutions qui sont au fond sociales-démocrates. Etes-vous étonné que la gauche refuse de les soutenir ?
Les catégories de la vieille politique ne nous aident ni à comprendre ce qui se passe, ni à trouver des solutions. La social-démocratie, c'est d'abord la redistribution des revenus. Ce n'est pas du tout le sujet en France où le taux de redistribution est déjà très élevé. Le problème des inégalités trouve aujourd'hui sa source principalement dans la répartition primaire des revenus : le capitalisme financier donnait tellement au patrimoine et incitait si fortement à la concurrence fiscale qu'il était bien difficile de corriger cette inégalité par l'impôt. Ce qu'il faut, c'est mettre en place des règles du jeu économique qui rétablissent l'équilibre entre le capital et le travail. Dans ce nouveau jeu économique, l'État a un rôle plus grand à jouer. Dans toutes les grandes avancées du capitalisme, l'État a été présent, il l'a été à Venise, à Florence, dans le capitalisme commercial du XVIIe et du XVIIIe siècle, dans les révolutions industrielles du XIXe, dans les Trente Glorieuses. Mais il s'agit de savoir quel État on veut. Ce que nous voulons, c'est un État qui entreprend, qui investit, qui innove, qui instruit, qui protège. Ça n'a rien à voir avec le vieil État social-démocrate, redistributeur et bureaucratique.
Auriez-vous rêvé d'une union nationale autour du plan de relance ?
J'aurais rêvé que face à une crise aussi profonde qui va accoucher d'un monde nouveau on puisse accomplir ce que le Conseil national de la Résistance a accompli au lendemain de la Seconde Guerre mondiale où communistes, socialistes, centristes, gaullistes avaient ensemble refondé le pacte social sans qu'aucun d'entre eux ait eu le sentiment de se renier. Ce n'est pas possible. C'est dommage.
Faut-il continuer les réformes ?
Quand tout change, ne pas changer serait une faute. L'éducation, la formation, la recherche, la santé, la participation, la fiscalité, il y a beaucoup à faire encore pour que la France trouve sa place dans le monde d'après la crise et pour accélérer la sortie de la crise.
Nicolas Sarkozy avait lancé l'idée d'une politique de civilisation, il y a un an. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Mais on y est ! Jamais la question de la civilisation n'a été aussi clairement posée ! Refonder le capitalisme, c'est une politique de civilisation ! La crise rend de nouveau libre, en même temps qu'elle impose d'imaginer, de penser, d'inventer.
Quel modèle économique s'imposera après la crise ?
Il y a, comme toujours, plusieurs avenirs possibles. Je crois que le modèle de demain sera moins patrimonial, moins fondé sur la rente, sur l'endettement et davantage sur le travail. Il sera sans doute un peu plus proche du modèle des Trente Glorieuses que celui des deux dernières décennies. Il sera aussi plus orienté vers la croissance intérieure que vers la croissance extérieure. Dans le meilleur des cas, la croissance sera plus durable et il y aura moins de déséquilibres dans la mondialisation, moins d'excédents pour les uns, moins de déficit pour les autres. À condition d'arriver à créer les conditions pour que chacun paye le vrai prix du risque et le vrai prix de la rareté. Mais on peut aussi avoir le pire si le chacun pour soi l'emporte, si le protectionnisme triomphe. On peut se réveiller avec des nationalismes économiques agressifs, des guerres commerciales, monétaires, avec, derrière, la montée du populisme. Conjurer ce risque, c'est le grand défi auquel va se trouver confrontée la politique dans les mois et les années à venir. À ceux qui se demandent déjà si après une telle crise on peut gagner les élections de 2012, je réponds souvent que Churchill a gagné la guerre et perdu les élections. Aurait-il mieux valu qu'il perdît la guerre et qu'il gagnât les élections ? En quatre ans, il ne s'est posé qu'une seule question : comment gagner la guerre ? Nous ne pouvons nous en poser qu'une seule aujourd'hui : faisons-nous le mieux possible ce que nous avons à faire pour affronter l'épreuve que nous traversons et pour préparer l'avenir ? C'est ce que fait le président de la République.
le Figaro 23/01/2009
LE FIGARO. La conjoncture ne cesse de se dégrader, la récession s'installe. Doit-on se préparer à une crise durable ?
Henri Guaino. Cette crise est la plus grave depuis celles des années 1930. Nul ne peut dire combien de temps elle durera. Qui sait exactement ce qu'il y a dans les bilans des banques du monde entier, ni jusqu'où peut aller l'engrenage de la récession ? Si l'on regarde l'histoire, les crises de ce type peuvent durer plusieurs années. Dans les années 1990, la crise japonaise a duré plus de dix ans. Mais les comparaisons sont difficiles parce que cette crise a quelque chose d'unique : c'est la première crise de la mondialisation.
Le plan de relance annoncé en décembre suffira-t-il ?
Il a été voté il y a quelques jours, laissons-lui le temps de produire ses effets ! S'il s'avère nécessaire de faire davantage, le gouvernement fera davantage. Tout ce qui pourra être fait pour combattre la récession et pour éviter qu'elle se transforme en dépression sera fait. Depuis le discours de Toulon, en septembre dernier, la stratégie n'a pas changé. Le président de la République a fixé une ligne. Cette ligne a été tenue et elle continuera de l'être. Dans cette crise terrible, il faut d'abord garder son cap et son sang-froid.
Le PS a proposé de coupler une relance par l'investissement et par la consommation. Il regrette l'absence d'aide directe pour les bas salaires…
L'effort doit porter sur les plus vulnérables. Beaucoup a été fait dans ce sens avec le RSA, la généralisation du contrat de transition professionnelle, l'assouplissement du chômage partiel, la revalorisation des minima sociaux… Tout sera fait dans les mois qui viennent pour éviter la propagation de l'exclusion. Mais la relance par la consommation serait une erreur économique. Le pouvoir d'achat distribué servirait surtout à acheter des produits importés. La question est de savoir si l'argent du contribuable doit servir à sauver nos emplois ou ceux des autres. Je crois que la stratégie de relance par l'investissement, qui entraîne à la fois l'offre et la demande, est la plus adaptée, la plus efficace et la seule qui ne sacrifie pas le long terme au court terme. Ce n'est pas une question de droite ou de gauche.
La récession est là et les prix baissent. Comment éviter la déflation ?
Historiquement, ce type de crise entraîne toujours dans un premier temps un ralentissement, voire la baisse de prix parce qu'il faut bien baisser les prix quand on n'arrive plus à vendre. Nous n'en sommes pas là, mais le risque existe. C'est en soutenant l'activité qu'on lutte contre le risque déflationniste. L'Histoire nous apprend que la plupart du temps c'est par l'inflation que l'on sort d'une crise d'endettement et de la déflation. Mais l'Histoire n'est pas écrite à l'avance et la mondialisation prépare peut-être une sortie de crise inédite.
L'État a choisi d'augmenter sa dette à des niveaux très élevés. Jusqu'où peut-il s'endetter ?
Il n'y a pas le choix. Dès lors que le système financier n'est plus en mesure de mobiliser l'épargne pour financer l'économie, il faut bien que les États et les banques centrales le fassent. Comme tous les gouvernements du monde, le gouvernement français emprunte pour financer l'économie. Un jour ou l'autre, il faut payer ses dettes mais ce n'est pas la même chose si en contrepartie de la dette on a des actifs parce que l'on a investi, ou si l'on n'a rien parce que l'on a consommé ce que l'on a emprunté. Emprunter pour prendre une participation dans une entreprise qui a un fort potentiel mais qui traverse un moment difficile, c'est parfaitement raisonnable, cela peut même être une bonne affaire, comme ce fut le cas pour le sauvetage d'Alstom. Emprunter pour placer en quasi-fonds propres dans les banques à 8 % pour qu'elles puissent continuer à prêter, comme c'est le cas aujourd'hui, cela rapporte de l'argent à l'État et ne dégrade pas sa solvabilité. Le problème, c'est que pour investir, il vaut mieux emprunter à long terme et que les épargnants ne veulent plus que des placements liquides. Il n'est donc pas exclu que de plus en plus d'États aient de plus en plus de mal à se financer à long terme à un coût raisonnable. Et ce d'autant plus que les excédents des pays prêteurs qui servaient à financer les déficits des pays emprunteurs sont appelés à fondre du fait de la réduction de leurs débouchés et de la nécessité de relancer leur croissance interne. Ce sera certainement le cas de la Chine dont on sait la part qu'elle a prise au financement des déficits américains. Cette réduction des capacités d'endettement au fur et à mesure que la crise accroît les besoins de financement pourrait être l'une des causes d'un retour futur de l'inflation à travers un recours de plus en plus massif à la création monétaire. À moins d'augmenter les impôts…
Lequel des deux dangers guette la France ? Y aura-t-il des hausses d'impôts en France avant 2012 ?
Augmenter les impôts en période de récession serait absurde. Une fois la crise passée, si l'État a bien investi, s'il a acquis des actifs qui ont une valeur, il n'y aura pas besoin d'augmenter les impôts.
L'État intervient pour sauver des secteurs entiers comme la banque et l'automobile. Pourquoi ne prenez-vous pas des participations ou ne procédez-vous pas à des nationalisations comme les Anglais, ou les Allemands qui ont pris 25 % de Commerzbank ?
Nationaliser toute l'économie n'est pas un objectif. Le gouvernement s'est fixé une ligne de conduite qui me paraît saine : si l'État intervient pour sauver une entreprise ou une banque en faillite, il en prendra le contrôle comme cela a été le cas pour Dexia. C'est ce qu'ont fait les Anglais et les Allemands.
Vous demandez aux banques de continuer à faire crédit aux entreprises. N'est-ce pas dangereux pour les banques, qui peuvent être amenées à prêter à des entreprises insolvables ?
Il ne s'agit pas de transformer les banques en guichets de prêts automatiques et de les fragiliser encore plus. Mais il s'agit de les mettre en face de leurs responsabilités pour éviter qu'un rationnement excessif du crédit ne vienne dégrader encore plus la situation de l'économie.
Bonus, dividendes, crédit, choix industriels… où s'arrête l'interventionnisme de l'État ?
On ne peut pas demander à l'État de sauver les banques et les entreprises et lui refuser le droit d'exiger des contreparties. La crise change les rapports entre la politique et l'économie. Partout dans le monde, même aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, les gouvernements vont devoir gérer des tensions politiques et sociales très fortes.
Envisagez-vous une loi sur la rémunération des dirigeants ?
Non. Mais on sent poindre partout une révolte des classes populaires et des classes moyennes contre des inégalités de rémunération qui ont atteint des niveaux jamais vus depuis le XIXe siècle. Alors, à chacun de prendre ses responsabilités. S'il le faut, le gouvernement prendra les siennes.
Le modèle du capitalisme anglo-saxon dominait le monde. Est-ce la fin de son hégémonie ?
Je préfère parler de capitalisme financier. Car c'est bien lui qui est en crise sur toute la planète avec son obsession de rendements exorbitants à court terme, sa dilution du risque et de la propriété, sa course effrénée au levier d'endettement, sa confiance aveugle dans les marchés qui ont toujours raison, l'argent qui va à l'argent, l'État minimum… En réalité, ce capitalisme financier est le contraire du vrai capitalisme.
Qu'attendez-vous comme résultats concrets du prochain G20 à Londres ?
La mise en œuvre des décisions prises au G20 de Washington pour moraliser la finance mondiale. Ce sera une étape importante dans la refondation du capitalisme. Tout ne se fera pas en un jour, mais je crois que les choses peuvent avancer assez vite dès lors que cette refondation est portée par un courant d'opinion planétaire. Regardez Obama : c'est d'une certaine manière un enfant de la crise. Il doit une partie de sa victoire à la révolte de l'Amérique profonde contre Wall Street, à une demande pressante pour en finir avec une époque. Il est la figure du changement voulu, espéré par des populations confrontées durement à l'épreuve de la crise.
Vous proposez des solutions qui sont au fond sociales-démocrates. Etes-vous étonné que la gauche refuse de les soutenir ?
Les catégories de la vieille politique ne nous aident ni à comprendre ce qui se passe, ni à trouver des solutions. La social-démocratie, c'est d'abord la redistribution des revenus. Ce n'est pas du tout le sujet en France où le taux de redistribution est déjà très élevé. Le problème des inégalités trouve aujourd'hui sa source principalement dans la répartition primaire des revenus : le capitalisme financier donnait tellement au patrimoine et incitait si fortement à la concurrence fiscale qu'il était bien difficile de corriger cette inégalité par l'impôt. Ce qu'il faut, c'est mettre en place des règles du jeu économique qui rétablissent l'équilibre entre le capital et le travail. Dans ce nouveau jeu économique, l'État a un rôle plus grand à jouer. Dans toutes les grandes avancées du capitalisme, l'État a été présent, il l'a été à Venise, à Florence, dans le capitalisme commercial du XVIIe et du XVIIIe siècle, dans les révolutions industrielles du XIXe, dans les Trente Glorieuses. Mais il s'agit de savoir quel État on veut. Ce que nous voulons, c'est un État qui entreprend, qui investit, qui innove, qui instruit, qui protège. Ça n'a rien à voir avec le vieil État social-démocrate, redistributeur et bureaucratique.
Auriez-vous rêvé d'une union nationale autour du plan de relance ?
J'aurais rêvé que face à une crise aussi profonde qui va accoucher d'un monde nouveau on puisse accomplir ce que le Conseil national de la Résistance a accompli au lendemain de la Seconde Guerre mondiale où communistes, socialistes, centristes, gaullistes avaient ensemble refondé le pacte social sans qu'aucun d'entre eux ait eu le sentiment de se renier. Ce n'est pas possible. C'est dommage.
Faut-il continuer les réformes ?
Quand tout change, ne pas changer serait une faute. L'éducation, la formation, la recherche, la santé, la participation, la fiscalité, il y a beaucoup à faire encore pour que la France trouve sa place dans le monde d'après la crise et pour accélérer la sortie de la crise.
Nicolas Sarkozy avait lancé l'idée d'une politique de civilisation, il y a un an. Qu'en est-il aujourd'hui ?
Mais on y est ! Jamais la question de la civilisation n'a été aussi clairement posée ! Refonder le capitalisme, c'est une politique de civilisation ! La crise rend de nouveau libre, en même temps qu'elle impose d'imaginer, de penser, d'inventer.
Quel modèle économique s'imposera après la crise ?
Il y a, comme toujours, plusieurs avenirs possibles. Je crois que le modèle de demain sera moins patrimonial, moins fondé sur la rente, sur l'endettement et davantage sur le travail. Il sera sans doute un peu plus proche du modèle des Trente Glorieuses que celui des deux dernières décennies. Il sera aussi plus orienté vers la croissance intérieure que vers la croissance extérieure. Dans le meilleur des cas, la croissance sera plus durable et il y aura moins de déséquilibres dans la mondialisation, moins d'excédents pour les uns, moins de déficit pour les autres. À condition d'arriver à créer les conditions pour que chacun paye le vrai prix du risque et le vrai prix de la rareté. Mais on peut aussi avoir le pire si le chacun pour soi l'emporte, si le protectionnisme triomphe. On peut se réveiller avec des nationalismes économiques agressifs, des guerres commerciales, monétaires, avec, derrière, la montée du populisme. Conjurer ce risque, c'est le grand défi auquel va se trouver confrontée la politique dans les mois et les années à venir. À ceux qui se demandent déjà si après une telle crise on peut gagner les élections de 2012, je réponds souvent que Churchill a gagné la guerre et perdu les élections. Aurait-il mieux valu qu'il perdît la guerre et qu'il gagnât les élections ? En quatre ans, il ne s'est posé qu'une seule question : comment gagner la guerre ? Nous ne pouvons nous en poser qu'une seule aujourd'hui : faisons-nous le mieux possible ce que nous avons à faire pour affronter l'épreuve que nous traversons et pour préparer l'avenir ? C'est ce que fait le président de la République.
le Figaro 23/01/2009