Je me fais un devoir de reproduire ci-dessous, in extenso, la réponse très autorisée de Jacques Garello, professeur d'économie émérite des Universités, à la "Lettre aux éducateurs" adressée, en date du 4 septembre 2007, par Nicolas Sarkozy aux personnels enseignants de l'Education Nationale.
Je m'acquitte d'autant plus volontiers de ce que je considère comme une obligation morale que cette missive du chef de l'Etat, longue de 31 pages dans le format de l'Elysée, met en lumière, selon moi en tout cas, les importantes lacunes de la nouvelle pensée élyséenne en matière d'éducation.
En réponse, "La lettre d'un éducateur à..." est extraite de La Nouvelle Lettre No 926 du 8 septembre 2007 éditée par le professeur Garello qui, lui-même, est le président de l'Association pour la Liberté Economique et le Progrès Social (ALEPS). Tous les renseignements utiles et nécessaires sur cet authentique think tank libéral français, quasiment historique, se trouvent sur le site www.libres.org.
Monsieur le Président,
Vous avez eu la délicate attention de m'adresser une lettre à l'occasion de la rentrée, et de me rappeler ce que j'avais à faire pour accomplir ma mission.
Je pousserai l'insolence jusqu'à vous dire à mon tour ce que vous devriez faire.
Vous avez le courage de demander que les élèves, collégiens et lycéens fassent la preuve de leur niveau avant d'aller plus loin dans leurs études. je vous suggère de faire de même pour les instituteurs, maîtres et professeurs. Les Institut de Formation des Maîtres sont devenus des hauts lieux d'inculture et d'idéologie. Les "journées pédagogiques" n'ont pour effet que de désorganiser les emplois du temps, les inspecteurs d'académie n'ont plus aucune autorité. Il faudrait en finir avec tout cela et revenir soit aux bonnes vieilles écoles normales, soit à un recrutement par l'établissement, rendu responsable de la qualité de son personnel enseignant.
Il est vrai que les maîtres de qualité sont rares, mais ils sont souvent démotivés, au moins pour deux raisons : leur autorité est battue en brèche par des conseils de classe et autres comités hétéroclites et irresponsables, leur mérite personnel n'est pas reconnu tandis que certains de leurs collègues oublient impunément leurs plus élémentaires devoirs. Que ne mettez-vous fin à ce fouillis structurel et à cette injustice notoire ? Pourquoi n'écouter que les voix des leaders syndicaux, omniprésents dans les procédures de nominations, de promotions et de mutations ?
Vous souhaitez que l'on fasse une place plus grande à la culture générale, et vous voulez donner aux enfants et adolescents la possibilité de découvrir les réalités du monde contemporain. Vous devez alors veiller à ce que les livres et manuels officiellement sélectionnés soient autre chose que des catéchismes marxistes déformant l'histoire, dénonçant les horreurs du capitalisme, annonçant l'apocalypse écologique et l'extension du paupérisme.
Vous devez donc donner à notre pays des éducateurs éduqués, des maîtres respectés, des livres et des programmes instructifs.
Mais j'irais plus loin dans mes exigences - pardon : mes respectueuses suggestions.
Pour avoir enseigné pendant plus de vingt ans, pour compter dans ma famille plusieurs enseignants j'ai appris deux choses : les vertus de la concurrence et l'importance des parents.
Fonctionnaire de l'Education Nationale, j'ai observé que le seul aiguillon de la qualité est la comparaison entre établissements : entre écoles, lycées et collèges publics d'une part, et entre public et privé d'autre part. Je vous demande donc, dans l'intérêt même du public, de supprimer les entraves qui freinent le privé dans ses initiatives. Libéré de ses contraintes, disposant d'une totale liberté dans le choix de ses enseigants, de ses programmes, de ses investissements. Le secteur privé est capable de trouver des formules diversifiées, mieux adaptées aux besoins des jeunes et de la société. Notre secteur public saurait en tirer les leçons, et expérimenter à son tour de nouvelles formules. Je vous demande d'étudier avec soin le système de "l'opting out", qui a permis à nombre d'établissements publics anglais d'acquérir une réelle autonomie.
Quant à l'importance des parents, elle ne se manifeste aujourd'hui qu'en deux occasions : lorsque la garde des enfants ou adolescents n'est pas assurée pour cause grève ou autre, et lorsque les notes de ces chères têtes blondes sont mauvaises, victimes assurément de quelque faute professionnelle de l'enseignant. Cette attitude des parents n'est due ni à leur inculture ni à leur pauvreté; j'ai souvent constaté que ce sont les familles les plus modestes qui sont les plus attachées à la qualité et au sérieux des établissements. Mais précisément, les parents ont perdu tout pouvoir de choix et tout droit de regard sur le système d'enseignement. Vous envisagez de supprimer la carte scolaire (au lieu de "l'aménager") , ce sera un point décisif car cela créera les conditions d'une vraie concurrence.
Pour que la concurrence existe, pour que les parents aient le sentiment d'avoir quelque responsabilité dans l'éducation de leurs enfants, il faut donc que la libre navigation des familles soit possible. Pour cela trois conditions sont requises, et vous vous devez de les réunir : liberté de création et d'extension des établissements (publics ou privés), liberté de leur gestion y compris des conditions pédagogiques et financières de l'admission, liberté d'inscription pour les familles qui satisfont à ces conditions.
C'est d'une refonte complète du système qu'il s'agit, puisque l'on passe du monopole d'Etat à la concurrence par la qualité et le prix, puisque l'on abandonne la gratuité pour lui substituer le contrat. Ce dernier point va tout bouleverser : le budget de l'Education Nationale, devenu monstrueux, sera réduit aux seules subventions et bourses ou bons scolaires donnés aux familles impécunieuses pour leur permettre d'inscrire leurs enfants dans l'établissement de leur niveau et de leur choix, mais parallèlement la charge fiscale des autres familles va considérablement diminuer et ils affecteront l'argent ainsi libéré à la meilleure éducation de leurs enfants. Les diplômes reprendront leur valeur de brevet pour la promotion sociale.
Cela va exiger de votre part beaucoup de courage politique. Vous allez vous mettre à dos les syndicats d'enseigants à coup sûr, mais aussi les associations de parents et de façon plus large encore tous ceux qui sont attachés à l'idée du service public unique et laïque de l'Education Nationale. Mais vous allez aussi sauver la jeunesse et, avec elle, l'avenir du pays.
Dans l'espoir de votre écoute, je vous prie de croire, Monsieur le Président...
p.c.c. Jacques Garello