Certains parlementaires de l’UMP proposent de taxer les stock-options pour redresser les comptes de la sécurité sociale. Comme personne ne semble admettre qu’il faut avant toute chose stopper le dérapage des dépenses, et donc s’attaquer aux causes structurelles des déficits, on cherche de nouvelles recettes, c’est-à-dire que l’on nourrit un dérapage des recettes elles-mêmes. En somme, il faut faire payer les riches ! Personne n'y avait-il pensé plus tôt ? A-t-on élu un nouveau gouvernement pour appliquer des solutions anciennes dignes du programme commun de la gauche ? N'est-ce pas la recherche éperdue de nouvelles recettes pour financer la sécurité sociale qui a, par le passé, motivé la création de la C.S .G. par Michel Rocard, puis ses différentes augmentations par les divers gouvernements de gauche comme de droite qui se sont succédés en mettant en œuvre une formidable continuité ? Finalement, sachant que l’on pouvait compter (indéfiniment ?) sur de nouvelles recettes, on a multiplié les nouveaux droits sociaux (RMI, CMU...) ce qui a conduit à de nouvelles dépenses... L’expérience nous montre ainsi qu’un dérapage des recettes ne freine pas, mais bien au contraire, cautionne le dérapage des dépenses, ce qui conduit à un creusement du déficit et à l’accumulation d’une dette qui est une véritable bombe à retardement.
Mais quoi de plus populaire - pour ne pas dire populiste - que de faire payer les riches patrons dont certains font aujourd’hui la une de scandale financier ? C’est un réflexe compréhensible et prévisible de la part d’un leader de la L.C .R pour qui un patron ou un entrepreneur ne saurait être qu’un parasite exploitant la sueur des ouvriers. Mais cela laisse tout de même songeur quand une telle proposition émane de grandes personnalités de l’U.M.P., sans doute en quête de légitimité auprès de ceux qui se sont attribués le monopole du cœur et de la morale [1]. Alors on prépare les esprits en présentant le système bancaire et financier comme un milieu opaque et douteux, théâtre de tous les scandales et de toutes les compromissions, jetant l'opprobre sur l'ensemble d'une profession sans laquelle nous ne pourrions avoir le niveau de vie, qui est considéré comme un acquis, voire comme un droit, dans nos pays développés.
La banque en particulier, et la finance en général, ont été inventées pour transformer les petites gouttes improductives que sont nos épargnes individuelles en fleuves, puis océans, c’est-à-dire en capitaux productifs. Si chacun stérilise de son côté 1 ou 50 euros, il n’aura guère d’autres choix que de les consommer. Mais que survienne un intermédiaire avisé pour réunir ces 1 ou 50 euros issus de la poche de 20 ou 30 millions de petits épargnants, alors ils transforment ces gouttes éparses en un fleuve puissant : les capitaux. Qu’ils mettent à disposition ces capitaux à des entrepreneurs, à des managers, à des innovateurs, et ces fleuves donneront naissance à un océan. Jacques Marseille observe judicieusement que si l’on confisquait les salaires des patrons du CAC 40 pour redistribuer cette cagnotte aux français les plus pauvres, chacun toucherait une fois pour toutes…50 euros [2]. Une goutte qui aura vite fait d’être évaporée puisqu’un ménage français dilapide cette somme en moyenne en 1 mois au bureau-tabac. Mais une fois la goutte évaporée, il n’y aura plus d’océan. Certes les plus riches seront moins riches, mais les plus pauvres ne seront pas moins pauvres.
Le pain, il ne faut pas le distribuer en faisant mine d'afficher sa générosité et sa fibre sociale. Le pain, il faut le produire. Une redistribution aveugle contribue à diaboliser les processus financiers pour tenter de les démonter. Au lieu d’assembler les gouttes improductives pour en faire des fleuves créateurs de richesse, on revient à l’envers : on brise le fleuve, on le décompose en ses gouttes initiales pour les rendre aux petits épargnants…Chacun retrouve sa gouttelette désormais improductive. S’attaquer aux stock-options, c’est encore s’en prendre à ce qui se voit, à la pointe insignifiante de l’iceberg, et ne pas prendre la mesure du travail invisible – mais tellement indispensable – des marchés financiers et de leurs acteurs.
Mais, au-delà des aspects purement financiers, il y a avant tout une question de principe. Les réglementations destinées à encadrer de manière autoritaire les décisions en matière salariale ont déjà contribué à briser le marché du travail au point que les plus qualifiés vont chercher les salaires qu'ils escomptent ailleurs. Malgré plus de 20 ans de chômage structurel massif, on continue à former des gens dont les qualifications ne correspondent plus aux besoins des entreprises tandis que les entreprises ont des difficultés à trouver du personnel qualifié. Les situations de pénurie ou d'excédent ne pouvant être corrigées que par l'ajustement des prix, en l'occurrence ici du niveau des salaires, toute rigidité contrariant cet ajustement perpétue le déséquilibre initial. On prend le risque d’accentuer cette ingérence en voulant légiférer sur le salaire des managers alors que seuls les actionnaires sont en mesure de décider de récompenser ou non les managers de l'entreprise.
Et croyez-bien que je ne cherche pas à défendre les riches patrons. Ils n’ont pas besoin de moi, ne soupçonnent pas même mon insignifiante existence et je ne suis pas de leur monde (je ne touche aucunes stock-options !). De toute façon, ils auront leur armada de conseillers financiers et d’avocats d’affaires, et sauront délocaliser leur patrimoine sous des cieux plus accueillants. Et c’est bien là le problème. Je veux prendre la défense ici du français d’en bas. Car la fuite des capitaux, qui accompagnera nécessairement (et accompagne déjà) la saignée des managers, des innovateurs et des entreprenants, cette fuite là est désastreuse pour la vitalité économique de notre pays, sans laquelle aucun système social ne peut tenir.
Il y a quelques années, l’Etat de la Floride voulait faire payer les riches en instituant une taxe sur les bateaux de luxe. Les riches en ont-ils soufferts ? Pas le moins du monde, ils ont acheté moins de bateaux, réalisant d’autres placements sous des cieux plus cléments. Les paradis fiscaux n’existent que parce qu’il existe des enfers fiscaux. Par contre, tout l’artisanat qui prospérait autour de la fabrication et l’entretien des yachts est parti en lambeaux, mettant sur le carreau les ouvriers qui vivaient de cette activité.
Jean-Louis Caccomo,
Perpignan, le 15 octobre 2007
http://caccomo. blogspot. com/[1] A ce propos, je ne saurais trop vous recommander la lecture du nouveau livre d’Eric Brunet Eric Brunet, Etre riche, un tabou français, Albin Michel, Paris 2007.
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