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mai 68

  • Paris-Match déclare ouverte la chasse aux soixante-huitards

    Parce que d'anciens leaders soixante-huitards ont refusé de poser pour une photo ridicule, Paris Match a décidé de leur régler leur compte. Après Sarkozy, le journal du groupe Lagardère est prêt, lui aussi, à liquider Mai 68.

    Dans son dernier numéro, outre un reportage sur Carla Sarkozy composé de sublimes photos posées de la belle en son palais, Paris Match consacrait un dossier aux «nantis conformistes de 1968» : «ceux qui prétendaient mettre le feu » à la société et qui «quarante ans après en sont les mandarins».

    Mai 68 quarante ans après : comme si c'était hier
    Le dessinateur Cabu, le journaliste Jean-Luc Hees, l'éditeur Hervé Hamon, le documentariste Patrick Rotman, Alain Geismar, André Glucksmann et son fils Raphaël avaient répondu présent à cette sollicitation du journal qui se voulait l'idée du siècle.
    Objectif : recomposer la ligue dissoute des contestataires devant la Sorbonne, le temps d'une photo avec quelques pavés de carton-pâte, une poubelle quadragénaire et des drapeaux rouges. Ne manquaient plus que les CRS d'époque et les barricades pour rejouer - au ralenti - la bataille de Gay-Lussac. Mais voilà : sans doute moins prompts aujourd'hui à se prêter aux enfantillages d'antan, les participants n'ont pas souhaité collaborer à cette mise en scène grotesque imaginée par le journal. « Ça s'est passé un dimanche, raconte Hervé Hamon dans une tribune publiée par le Télégramme, l'attachée de presse de mon éditeur m'avait signifié que l'illustre journal souhaitait photographier les auteurs qui consacraient un ouvrage à mai 68 pour présenter leur livre. Le photographe avait préparé un décor. Nous nous sommes consultés du regard. Même la foire du trône n'aurait pas voulu d'une mise en scène aussi ringarde. Nous avons donc poliment décliné le carton-pâte et pris position sur les marches de la chapelle».

    Les nantis-conformistes rebelles
    Visiblement affecté par l'attitude de ces révoltés d'un autre temps, Paris-Match décide alors de consacrer un encadré à "l'Affaire" : «Une fois de plus, peut-on lire, Alain Geismar mène la danse : « Non, non, moi je ne me mets pas là, c'est ridicule!». Plus ou moins d'accord avec leur leader, les autres ont suivi». Nantis peut-être, vieillissants certes, trop sages sans doute, mais pas encore suffisamment séniles pour se donner corps et âme à la société du spectacle… Paris-Match en est donc pour ses frais : «On espérait une photo qui nous replonge dans l'atmosphère de l'époque, nous avons eu une réunion de sages sexagénaires dénués d'humour».
    De fait, la photo finalement publiée relève plutôt du style «réunion de troisième âge». Pas de quoi, cependant, en faire un caca nerveux. Mais Match est vraiment vexé et décide, pour se venger, de se payer Mai 68 et notamment ces nantis-conformistes-dénués-d ‘humour qui ont refusé de rejouer la scène de la prise de la Sorbonne. Dans un édito sur le sujet, le magazine du groupe Hachette règle ses comptes, tombant dans le même piège que tous ceux qui ont souhaité «enterrer Mai 68» : Gilles Martin-Chauffier abuse des raccourcis, réduit le mouvement à ses leaders, devenus effectivement pour certains des politiques, des hommes de pub, des barons de l'édition, des patrons, des figures médiatiques. Et les figures anonymes de 68? Et les ouvriers? Ils n'intéressent apparemment pas le rédacteur en chef de l'hebdo people.

    Hervé Hamon voit (encore) rouge

    Commentant l'article de Gilles Martin-Chauffier, Hervé Hamon, va plus loin : i[«Et j'en appris bien d'autres sur moi-même et mes contemporains. Que j'appelais de mes vœux, hier, «un régime à la Pyong-Yang». Que je suis devenu un «potentat gorgé de notes de frais». Que j'ai soutenu la guerre en Irak. Que je me suis comporté en «caniche face aux commandos de la mort de Che Guevara». Je vous la fais courte. Ce style-là, moi qui ai un peu étudié l'histoire, je le connais: c'est celui de Je suis partout, journal antisémite de l'avant-guerre». Preuve qu'il vaut mieux ne pas réveiller un soixante-huitard qui dort…

    Glucksmann, Soubirous du sarkozysme
    Et c'est ainsi, par ses faiblesses et cette anecdote risible, que le dossier de Match en devient presque intéressant, façon cas d'école : en voulant dénoncer le fourvoiement de certains leaders de Mai, il sombre dans la caricature qu'il prétend dénoncer, et limite la représentation de Mai 68 à ceux qui en sont devenus les figures médiatiques, voire les produits dérivés historiques. Il en est ainsi d'André Glucksmann, sorte de Bernadette Soubirous du sarkozysme et auteur récent de «Mai 68 expliqué à Nicolas Sarkozy», un livre tragico-comique co-écrit avec son fils. Raphaël, le fiston du père, est né en 1979, c'est dire s'il a été l'un des fervents animateurs de «Mai». Humaniste, droitdelhommiste, proche du microscopique parti Alternative Libérale, animé de tous les «bons» sentiments de la terre, notamment le libéralisme à la sauce anglosaxonne, le fils Glucksmann prône l'établissement d'une société sans hiérarchies, toute en horizontalité, prenant naturellement pour premier exemple l'école où l'élève dépasserait, par nature, le maître…Plus que par le refus de se prêter à une mise en scène ridicule, c'est face à ce genre de constats que l'on mesure l'étendue des dégâts intellectuels provoqués chez certains enfants égarés de 68. Mais ça, ce n'est pas dans Match.

    Mercredi 19 Mars 2008 - 00:03
    Régis Soubrouillard
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