Douze candidats sont désormais engagés dans la campagne officielle. Parmi ces douze candidats, on compte bien 10 candidats antilibéraux, un libéral qui n’ose pas l’être et un candidat ni libéral, ni antilibéral. Autant dire que la mascarade de débat a commencé pour le plus grand bonheur des professionnels de l’audimat et de la politique spectacle. Apprêtons-nous à subir un débat « démocratique » digne des démocraties populaires : on a le droit – et même le devoir – de débattre à condition de rester dans les cadres convenus et imposés de la pensée bobo.
De son côté, le CSA veillera scrupuleusement à l’égalité des temps de parole. Mais donner le même temps de parole à des candidats qui déclinent le même refrain, cela revient à démultiplier des chaînes pour diffuser le même film. Car dans le fond, si le vocabulaire et le style peuvent varier d’un candidat à l’autre, le discours et l’analyse sont figés dans les mêmes poncifs depuis trente ans. Quand Ségolène Royal se réfère à Tony Blair, François Bayrou prend Margaret Thatcher pour repoussoir ; quand Besancenot diabolise la finance internationale et condamne les profits, Sarkozy s’en prend à l’euro et veut moraliser la finance. Alors que les hommes et femmes politiques courent après la croissance, comme si elle pouvait se décréter, aucun candidat ne semble avoir compris que l’on ne peut faire de la croissance sans finance et développer des entreprises sans capital. Et les mêmes au pouvoir laisse des finances publiques à la dérive qu’il appartiendra d’une manière ou d’une autre aux ménages d’éponger.
Pourtant, les français n’ont jamais été autant réceptifs à l’éthique libérale et sont saturés des solutions collectivistes et égalisatrices qui ont produit toutes les dérives dont les ménages français sont les premiers à pâtir. Mais ce sont les candidats et les médias qui ne sont pas prêts à tenir et à porter le discours libéral. Ils nous disent : « les français ne sont pas prêts… » ou encore « ils sont très attachés au modèle social »… Probablement attachés par des liens devenus proprement insupportables : des prélèvements qui ne se disent plus pour être encore plus indolores mais toujours plus réels, des dépenses publiques que l’on ne maîtrise plus et dont la dérive fait encourir un risque systémique sur l’ensemble de l’économie française.
Ce ne sont pas les français mais c’est le milieu politique qui ne veut pas du libéralisme : il a tout à perdre car les libéraux prônent une société qui rend la fonction politique subsidiaire sinon subalterne, à partir du moment où chacun parvient à s’assumer dans la dignité et dans la liberté, c’est-à-dire par le fruit de son travail, et non sur le dos d’autrui.
Alors le système politique français se verrouille de l’intérieur, brisant les énergies de ceux qui seraient susceptibles de le faire évoluer et les antilibéraux paradent devant les caméras, nous infligeant leur refrain de victimes et d’exclus. Plus le message est gros (voire grossier), plus il sera répété. Ajouter un décodeur TNT dans votre télévision : vous avez dix chaînes de télévision de plus. Avez-vous vraiment dix fibres différentes, dix traitements de l’information différents ? Autrement dit, les paquets de lessive sont nombreux mais la poudre reste la même. Les débats sur les bénéfices des compagnies multinationales, sur les licenciements ou sur le rôle de l'Etat dans les affaires industrielles et technologiques, c'était déjà le refrain de Georges Marchais face à Giscard ; c’était le mythe de la politique industrielle chère à Mitterrand conseillé alors par Attali, qui a beau jeu aujourd’hui de s’inquiéter de la situation financière du pays... Airbus est précisément né de ces mécanos politico-industriel s qui rendent quasiment impossible toute gouvernance rationnelle de l’entreprise. Bull, la seule entreprise française à savoir fabriquer des ordinateurs dans les années 60, a fait les frais de ces montages qui défient toute logique économique [1].
Rien n'a bougé aujourd'hui. Si notre éveil en matière d'éducation sexuelle était resté au même niveau que notre connaissance générale de l'économie, on serait encore en train d'expliquer aux français que pour faire plus de bébés, il faut planter des choux et attirer les cigognes.
Voilà pourquoi internet, les blogs, les moteurs de recherche n’auraient pas pu être inventés en Europe. Non pas en raison d’une suprématie (réelle) technologique des Etats-Unis ; mais parce que les américains ont une méfiance naturelle de l’Etat, du monopole et de la centralisation. Avant d’arriver dans les laboratoires, l’innovation se fait d’abord dans les esprits et les mentalités [2].
Le filtre des signatures est inique et montre encore une fois que la France n’est jamais à l’aise avec la diversité, la concurrence, le pluralisme et la compétition. Pareil à l’EDF qui se prétend la meilleure entreprise au monde mais qui refuse la comparaison, pareille à la sécurité sociale qui se prétend le meilleur système social au monde mais qui refuse la concurrence, nos hommes et femmes politiques se prétendent supérieurs aux autres mais ne tolèrent aucune intrusion nouvelle dans le sérail bien gardé. Pourtant, plus le système se verrouillera de l’intérieur, plus la possibilité de faire émerger une nouvelle génération d’hommes et femmes politiques porteurs d’une vraie alternative deviendra une utopie.
Un pays qui ne se donne pas le moyen de s’auto réformer se condamne à la mise sous tutelle, à la faillite et à l’impasse.
Jean-Louis Caccomo,
Perpignan, le 20 mars 2007
http://caccomo. blogspot. com/
[1] Voir à ce propos Vallée J. [1998] Les enjeux du millénaire. Capital-risque et innovation, Hachette Editions, Paris.
[2] Tidd J., Bessant J. et Pavitt K. [2006] Management de l’innovation, De Boeck Université, Bruxelles.