Par Jean-Philippe Feldman
Jean-Philippe Feldman, professeur agrégé des facultés de droit et avocat à la Cour de Paris (*) souligne les lacunes de la Déclaration universelle adoptée le 10 décembre 1948.
Coutumière des célébrations, la France en aura connu de nombreuses au cours de l'année 2008. Après le cinquantième anniversaire de notre Constitution, on s'apprête à commémorer le soixantième de la Déclaration universelle des droits de l'homme.
Comment pourrait-on s'en offusquer ?
Sans l'avoir lue, beaucoup pensent qu'une déclaration «universelle» des droits de l'homme ne peut que surpasser une déclaration nationale. D'ailleurs, notre Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 est souvent confondue avec la Déclaration universelle. Par surcroît, on ne manque pas de rappeler que celle-ci a été fortement inspirée par un Français : René Cassin, une personnalité impeccable. C'est par une résolution de l'Assemblée générale des Nations unies qu'elle fut adoptée le 10 décembre 1948, de manière doublement symbolique : à la suite des horreurs de la Seconde Guerre mondiale, et au lendemain de l'approbation de la Convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. Elle était novatrice à maints égards. Selon les vœux de Cassin, elle devait entériner les droits «classiques» tout en accueillant de nouveaux droits, dont la consécration ne pouvait être que progressive. De plus, elle était «universelle», et pas seulement internationale : il s'agissait de limiter le pouvoir des États sur leurs propres ressortissants. Enfin, dans les années qui ont suivi son adoption, elle put être transformée par certains en instrument de lutte contre le communisme.
Un panégyrique n'est pourtant pas de mise.
Il suffit de relire les débats préparatoires (mais qui le fait encore ?) et notamment les interventions du délégué soviétique, le sinistre Vychinsky, pour s'en convaincre. Les formulations occidentale et marxiste des droits de l'homme ont été délibérément mêlées jusqu'à l'inconséquence. Le préambule adopte le principe marxiste selon lequel les libertés ne sont pas une donnée à respecter, mais une conquête à organiser. Ce qui n'empêche pas l'article Ier de proclamer que tous les hommes naissent libres et égaux ! Le droit de propriété - perdu au beau milieu du document - est massacré : «Toute personne, aussi bien seule qu'en collectivité (sic), a droit à la propriété» ! L'article 26-3 ne laisse pas d'inquiéter : «Les parents ont, par priorité (sic), le droit de choisir le genre d'éducation à donner à leurs enfants.» Les silences du texte sont aussi assourdissants : rien sur la liberté d'entreprendre ou sur la liberté du commerce et de l'industrie, pas un mot sur le droit de grève (inacceptable pour la «patrie des travailleurs» !). Quant à la référence aux devoirs de l'individu envers la communauté, elle confond dangereusement droit et morale. Surtout, le texte est à l'origine du principe de l'«indivisibilité» des droits de l'homme selon lequel tous les droits se valent. Les droits économiques et sociaux y pullulent : droit au travail, au repos et aux loisirs, à un niveau de vie suffisant, etc. Bref, après les droits-libertés de la «première génération» en 1789 (liberté, propriété, sûreté, résistance à l'oppression), ce sont les droits-créances qui sont créés en 1948 et qui forment la «deuxième génération». Un puits sans fond, car elle en appellera beaucoup d'autres ! Or, parler de «droit à» est absurde et dangereux, car seul le prétendu titulaire du droit est connu et jamais celui sur qui pèserait l'obligation corrélative. Les faux droits de l'homme chassent les bons, car ils entrent nécessairement en conflit avec eux. Les affirmations de besoins, de desseins ou d'attente, qui permettent de prendre aux uns pour donner aux autres, ne sont pas pour autant des droits de l'homme. Ceux-ci ont une valeur universelle effectivement, donc atemporelle. L'idée d'une actualisation historique n'a aucun sens puisque l'universalité des droits tient à la nature même de l'homme. L'objectif qui devrait nous guider devrait être de faire respecter les vrais droits de l'homme, et non pas d'inventer de faux droits. Le seul mérite de la Déclaration de 1948 est de mériter l'oubli.
(*) Auteur de «De la Constitutionde la Ve République à la Constitution de la liberté», Institut Charles-Coquelin, 2008.