Fort heureusement, la « crise » remet les idées en ordre et les hommes en place. Elle aura révélé les incompétences, les irresponsabilité s, les corruptions, les complicités, les privilèges, les spoliations.
C’est ce qu’a fort bien illustré le discours du Président prononcé à Annecy. « La crise aura mis fin à l’idéologie de la dictature des marchés et de l’impuissance publique ». Cette profession de foi traduit à la fois l’ignorance et la prétention des chefs d’Etat, et particulièrement du nôtre. Je suis donc heureux que l’on en finisse avec ces élucubrations. Puisse en effet la crise mettre fin à la dictature de l’ignorance et à l’impuissance de la prétention !
Tout d’abord, je ne vois pas en quoi l’idéologie de la dictature des marchés serait aujourd’hui dominante. Bien entendu, la crise a permis aux vrais coupables de mettre en accusation, pêle-mêle, Reagan, Thatcher, Friedman, Hayek, les économistes de Chicago, les financiers de Wall Street.
Ecoutons Michel Rocard :
"Friedman a créé cette crise ! Il est mort, et vraiment, c'est dommage. Je le verrais bien être traduit devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité. Avec son idée que le fonctionnement des marchés est parfait, il a laissé toute l'avidité, la voracité humaine s'exprimer librement."
Il est établi que la crise n’a pas pour origine le marché mais bien la politique monétaire de la FED, et surtout les manœuvres politiques du parti démocrate qui a inventé les crédits hypothécaires à discrimination positive : priorité aux minorités insolvables grâce à l’intervention de Fannie et Freddy, ces braves agences garanties par l’État fédéral (et créées dans la ligne du New Deal, réanimées pour raison électorale par Bill Clinton). Elles ont bien renvoyé l’ascenseur en devenant les fidèles soutiens des démocrates, arrosant copieusement les gens du Congrès (Obama en tête). Voilà sans doute où étaient l’avidité et la voracité.
Mais on ignore sans doute cela en hauts lieux élyséens. Monsieur Guaino ne le savait pas quand il a fait le brouillon du discours d’Annecy. On ne sait pas non plus que tous les déséquilibres imputés au marché sont les sous-produits des interventions étatiques. Il n’y aurait pas à subir les crises pétrolières s’il n’y avait pas l’OPEP. Il n’y aurait pas de paradis fiscaux s’il n’y avait pas d’enfers fiscaux. Il n’y aurait pas de panne du crédit si l’épargne n’était pas matraquée. Il y aurait création d’emplois si la liberté du contrat de travail n’était pas entravée. Il y aurait des retraites confortables si l’on acceptait la capitalisation. Il n’y aurait pas de violences ni de carences scolaires si on en finissait avec le monopole de l’Education Nationale et des syndicats d’enseignants. Peut-on l’ignorer ?
Quel est le terrorisme intellectuel qui s’est installé chez nous depuis un demi-siècle au moins ? De quoi nous parle-t-on chaque jour, sinon de Grenelle, de développement durable, de droit au logement, de fonds souverains, de dumping social ? L’idéologie dominante est-elle celle de Friedman, ou celle de Keynes, du New Deal, d’Al Gore et de Marx relooké ?
Non seulement le Président ignore, ou feint d’ignorer, ce qui se passe réellement sur la terre, mais il ignore, ou feint d’ignorer, ce que dans le passé l’humanité a dû au marché. Bien avant qu’Adam Smith ait expliqué ce qui faisait la richesse des nations, depuis des siècles, au milieu des guerres qui étaient toujours liées au pouvoir des rois et seigneurs et ruinaient le bon peuple, les hommes avaient compris que leur progrès était dans l’échange, dans le service mutuel. Ils avaient perfectionné les systèmes de contrat, les monnaies, les instruments de crédit, les marchands avaient organisé le commerce mondial. Le marché, c’est la liberté de choix, c’est la compréhension entre les peuples.
Tout l’inverse du recours à la contrainte, raison d’être de la société politique. Quand on nous annonce le « retour du politique », on doit traduire : retour du nationalisme, retour des conflits, choc des civilisations, et pour la vie quotidienne moins de pouvoir d’achat, moins de choix, plus d’impôts, plus de réglementation, plus de police fiscale (car la police qui protège contre les criminels est en panne).
Il est vrai que ces considérations vulgaires ne sont pas à la mesure d’un personnage universel et intemporel. Le président a la prétention de refonder le capitalisme, de reconstruire le système monétaire et financier international, de doter la mondialisation des institutions dont elle a besoin. Il doit s’empresser pour accomplir cette immense mission : George BUSH ne pourra faire partie de son équipe, et OBAMA va certainement vouloir prendre la commande des sommets mondiaux. En janvier prochain, Vaclav KLAUS sera président de l’Union Européenne, avec des vues totalement opposées. Qu’à cela ne tienne : Nicolas SARKOZY déclare au Parlement Européen qu’il pourrait bien prolonger son mandat, il aurait en charge la direction d’un gouvernement économique européen – qui n’existe pas dans la constitution de l’Europe (au demeurant non approuvée actuellement) et dont personne ne veut.
Je ne vois pas pourquoi les réalités se plieraient aux désirs d’un homme politique, si génial soit-il. Certes la France est le pays des 18 brumaire et des 2 décembre. Mais nous ne sommes déjà plus en France. Nous sommes dans une communauté mondiale, et la puissance de l’Elysée, en revanche, s’arrête aux frontières de la République Française.
A la différence de 1791 et la suite, nous ne pouvons prétendre exporter dans le monde entier des valeurs qui apparaissent aux yeux des autres comme des contre-valeurs. La prétention de changer le monde est cette « présomption fatale » qu’ HAYEK dénonçait naguère. La prétention est de plus ridicule quand elle se double d’impuissance.
Voilà tout ce que la crise devrait apprendre aux Français, et aux autres : oui, on doit rompre avec l’ignorance et la prétention pour retrouver le bon sens, la compréhension et l’humilité.
Jacques Garello
Le 27 octobre 2008