Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • L'Élysée enrôle des économistes indépendants

    JEAN-PIERRE ROBIN.
    Publié le 09 juillet 2007
    Actualisé le 09 juillet 2007 : 07h28
     
    Nicolas Baverez. 
    Nicolas Baverez.
    Le Figaro.
    Ce "groupe des six" joue la carte de la diversité idéologique.
    IlS SONT six et ils joueront un rôle de conseil pour toutes les décisions de politique économique. L'Élysée vient de constituer un groupe d'une demi-douzaine d'experts qui devraient se réunir deux fois par mois, ce qu'ils ont déjà commencé de faire. Ce sont, d'une part, Michel Didier et Jean-Paul Fitoussi, qui dirigent les deux plus importants instituts de conjoncture privés, respectivement COE-Rexecode et l'OFCE et, d'autre part, quatre personnalités indépendantes, issues du monde universitaire et connues pour leurs prises de position souvent intempestives.
    Nicolas Baverez a été le premier des « déclinologues ». Ses philippiques vis-à-vis de l'immobilisme français remontent au début des années 1990 et à son combat anti-Maastricht. Michel Godet, professeur de prospective au Conservatoire des arts et métiers, est spécialiste des questions d'emploi et de la famille. Olivier Blanchard enseigne l'économie au MIT aux États-Unis et a rédigé il y a quelques années un rapport retentissant, avec Jean Tirole, dans le cadre du Conseil d'analyse économique, où il recommandait une réforme et l'unification du contrat de travail. Quant à Charles Wyplosz, qui enseigne l'économie à l'école des Hautes Études internationales de Genève, il a publié l'hiver dernier, avec Jacques Delpla, un livre qui constitue une sorte de discours de la méthode sur la réforme : il y propose une sorte de donnant-donnant où les gens qui perdent un privilège recevraient une compensation financière pour accepter un changement de leur statut.
    Ce « groupe des six » est marqué par sa diversité idéologique, des hommes de gauche, des keynésiens et des libéraux, des pro-Européens et d'autres qui vitupèrent contre la politique monétaire de la BCE. S'il ne se préoccupe guère de parité homme-femme, il faut y voir sans doute le souci de se tenir à l'écart de tous les conformismes ambiants.
    Un regard indépendant
    La gent des économistes n'en est pas moins ébranlée. Il existait déjà une institution de cette nature : le Conseil d'analyse économique, créé en 1997 à l'initiative de Lionel Jospin, avait été fondé sur le même principe, d'apporter un regard indépendant et de fournir une sorte de caution de sérieux auprès de l'opinion publique. Le CAE, directement lié à Matignon et qui regroupe actuellement une trentaine d'experts, va être amené à évoluer et vraisemblablement à se resserrer. On notera également que des parlementaires, et notamment au Sénat, songent eux aussi à créer des petits groupes d'économistes chargés de les conseiller pour appuyer leurs propres propositions. Que mille idées surgissent dans la France de Sarko, comme autrefois dans la Chine de Mao.

  • Paul Jorion : "Le libéralisme est la philosophie spontanée du milieu des affaires"


    c9417bef655f7d1566d01cceec128d2d.jpgLE MONDE ECONOMIE | 02.07.07 | 11h57

    Qu'est-ce qu'un modèle libéral, en économie ?

    Historiquement, la question du libéralisme ne se pose jamais à l'intérieur d'un vide. Il s'agit toujours de supprimer des réglementations en place, dans un contexte où existent déjà des règles écrites, ou tacites. Si l'on supprime certaines règles écrites, on se retrouve dans le contexte des règles restantes et des principes tacites, c'est-à-dire que l'on renforce les pouvoirs de ceux qui en disposent déjà.

    Déjà en 1776, dans La Richesse des nations, Adam Smith faisait remarquer qu'il y a énormément de réglementations qui interdisent aux travailleurs de se concerter et très peu qui interdisent aux patrons d'en faire de même. La raison en est, disait-il, qu'il est beaucoup plus simple pour les patrons, qui sont en nombre réduit, de se rencontrer secrètement que ça ne l'est pour les ouvriers, qui doivent nécessairement se concerter en très grand nombre et dans des lieux publics. Ainsi, tout effort de déréglementation, de privatisation, revient à renforcer le pouvoir de ceux qui le possèdent en réalité déjà, en l'occurrence, pour reprendre Adam Smith, les patrons. Les débats sur le libéralisme ont toujours eu lieu à des moments historiques où la suppression de certaines lois conduit à éliminer les barrières mises en place pour contenir les excès de ceux qui disposent déjà du pouvoir.

    A quelles époques faites-vous référence pour les Etats-Unis ?

    Après vingt-cinq ans de "reaganisme" et de déréglementation à tout-va, le système financier américain s'est énormément fragilisé, les hedge funds, les private equity (fonds d'investissements) et certains des établissements financiers de Wall Street ont découvert l'ensemble des failles et s'y sont installés pour y trouver leur profit.

    Le libéralisme vise-t-il à supprimer toutes les régulations ?

    Non, car s'il intervient toujours après un effort de réglementation dont l'application est ressentie par l'opinion comme excessive, afin d'en éliminer certaines, la conception selon laquelle on pourrait supprimer toutes les règles ou même leur majorité, est illusoire. Une fois instaurées, les règles sont rapidement intériorisées, deviennent tacites, voire une seconde nature, et, à ce titre, invisibles. C'est ce qui permet, malgré les vagues de déréglementations et de privatisations, un certain progrès : un retour au statu quo ante serait toujours perçu comme excessif et insupportable.

    Quelles réglementations le libéralisme choisit-il de garder et pourquoi ?

    Il faut appeler un chat un chat, le libéralisme est la philosophie spontanée du milieu des affaires : laissez-moi poursuivre mon intérêt particulier et l'intérêt général en bénéficiera. De fait, paradoxalement, cela marche toujours, jusqu'à un certain degré, parce que même l'exercice d'une avidité égoïste oblige celui qu'elle motive à consacrer une partie de ses efforts à maintenir en état de marche le contexte général au sein duquel elle s'exerce. C'est ce qu'évoque Adam Smith avec la "main invisible". Si l'on veut jouer au football avec l'intention ferme de gagner, il convient quand même de se mettre d'accord avec les autres joueurs pour savoir qui louera le terrain, qui s'occupera d'entretenir le gazon. L'être humain est social, quoi qu'il en pense, et même son intérêt égoïste exige la collaboration, la coopération. Peut-on laisser aux seuls hommes d'affaires le soin de définir l'intérêt général ? Non, parce que quand les affaires marchent, ils sont bien trop occupés !

    Propos recueillis par Adrien de Tricornot

    Note: Paul Jorion signe "Vers la crise du capitalisme américain ?" (La Découverte, coll. "Recherches"). Anthropologue, économiste et spécialiste de l'intelligence artificielle, Paul Jorion est Docteur en Sciences Sociales de l’Université Libre de Bruxelles. Il est diplômé en sociologie et en anthropologie sociale. Il a enseigné aux universités de Bruxelles, Cambridge, Paris VIII et à l’Université de Californie à Irvine. Il a également été fonctionnaire des Nations-Unies (FAO), participant à des projets de développement en Afrique.